On ne peut sous-estimer l’importance de la connaissance situationnelle (CS) en contexte tactique. La CS est une technique essentielle à la réussite des opérations quotidiennes dans n’importe quel environnement, qu’elles soient réalisées par des soldats sur un champ de bataille, par des forces du maintien de l’ordre public ou par d’autres premiers répondants. C’est la raison pour laquelle quiconque intervenant dans ce type de travail peut bénéficier d’une meilleure compréhension du concept de la CS.
Dans le présent article, nous aborderons le concept de la CS, les trois facteurs qui contribuent à établir la CS, l’importance du partage de la CS et, enfin, un outil visant à améliorer votre utilisation de cette technique. Lorsqu’elle est bien appliquée, la CS contribue à améliorer les communications et à donner de meilleurs résultats à la planification et à l’exécution de vos opérations.
Qu’est-ce que la connaissance de la situation?
Il peut devenir plutôt compliqué d’aborder le sujet de la CS plus en profondeur selon une théorie particulière ou selon de quelconques modèles conçus pour l’expliquer. Toutefois, la CS est assez simple à comprendre dans sa forme la plus pure. La plupart des gens n’ont vraiment en fait qu’à connaître ses fondements pour tirer parti du concept. Il s’agit simplement de comprendre ce qui se passe autour de soi et de prendre des décisions en conséquence selon cette compréhension de ce qu’est la CS.
Il semble que nous n’entreprenions aucune de nos actions dans un vacuum, mais plutôt dans un univers tangible. Tous les éléments de notre milieu environnant influencent le résultat des décisions que nous prenons. Or, le meilleur des plans peut prendre rapidement une tournure désagréable lorsque des forces extérieures commencent à y réagir. À l’époque où nous préparions des plans au sein des forces armées, nous aimions nous rappeler que l’ennemi « a son mot à dire ». C’était notre façon de ne pas oublier l’un des aspects cruciaux nécessaires pour connaître une situation donnée. En somme, tout ce qui nous entoure a son importance.
On peut considérer la CS comme une forme de gestion du risque. Il s’agit de capter toute l’information dans son environnement et de l’utiliser pour prendre des décisions opportunes. Puisque nous avons précisé le concept de la CS, abordons les éléments qui contribuent à une bonne compréhension de ce qu’est la CS.
L’établissement de la connaissance d’une situation
Trois facteurs sont importants dans l’établissement de la CS. D’ailleurs, on ne peut dresser un tableau complet de ce concept qu’en explorant à fond chacune de ses composantes. En voici les éléments, énumérés dans l’ordre selon lequel il faut les explorer pour obtenir la CS : la connaissance de l’environnement physique, la compréhension des intentions et des déplacements des personnes relativement à leur environnement physique et l’anticipation de l’effet des futures actions sur cet environnement.
L’environnement physique comporte de multiples facettes. Le terrain, la météo, les plantes, les animaux, les odeurs, les sons, les stimuli visuels et les constructions créées par l’humain ne sont là que quelques éléments qui composent l’environnement physique. La première étape visant à établir la CS consiste à évaluer le milieu environnant. Ce n’est qu’à l’aide d’un tableau clair du milieu environnant qu’on peut prendre des décisions opportunes et appropriées.
La meilleure méthode à employer pour dresser l’inventaire de l’environnement consiste à y réfléchir à l’aide de vos cinq sens. Cette dernière peut sembler moins pertinente à la réalisation de cette tâche, notamment quand il s’agit du sens du goût. Mais en vérité, chacun de ces sens a un rôle à jouer dans votre compréhension du milieu physique environnant.
Prenez note de ce que vous voyez, entendez, ressentez, goûtez et sentez. Quelle vision d’ensemble toute cette information vous donne-t-elle? Réfléchissez à la manière dont chacune de vos observations interagit. Par exemple, décelez-vous de la fumée dans l’air uniquement lorsque vous voyez un feu ou cette sensation perdure-t-elle même en l’absence de feu? Comment tous les éléments que vous percevez interagissent-ils ou s’influencent-ils les uns les autres? Cette méthode d’observation du milieu environnant générera une connaissance approfondie de l’environnement physique.
Après avoir dressé un tableau de ce qui est, à votre avis, une illustration précise de l’environnement physique, vous devez comprendre les intentions et les déplacements des gens relativement à leur environnement physique. Or, cette phase du processus visant à établir votre CS peut se révéler la plus difficile. Elle fait intervenir une compréhension de l’individu. Bien que les humains soient des êtres d’habitude, ces derniers manifestent certaines particularités qui rendent l’étude de leurs interactions avec leur univers difficile.
Voici un exemple concret, qui illustre bien cette phase du processus lié à la CS : supposez que l’environnement physique que vous êtes chargé de bien connaître soit un grand marché extérieur. Supposez que vous avez pris le temps de vous dresser soigneusement un portrait de l’environnement physique. Vous connaissez chaque stand, l’odeur et le goût des aliments en vente, les couleurs vives des produits offerts par les marchands et l’apparence du marché de jour et de nuit. Toutefois, il vous reste à observer les interactions des personnes avec l’environnement du marché.
Puis, imaginez que vous êtes membre d’une équipe d’agents du maintien de l’ordre public chargés de démanteler un réseau de contrebande en activité à un certain endroit, au marché en plein air. Si vous n’avez aucune idée des comportements des personnes présentes au marché, comment pourrez-vous débusquer les contrebandiers? Vous devez ainsi comprendre pourquoi ces personnes sont sur place et comment elles se comportent habituellement. Ce n’est qu’à cette condition que vous aurez la chance de trouver les contrebandiers.
Dans cette phase du processus lié à la CS, recherchez des tendances liées au temps et au comportement. Les personnes vont et viennent-elles par vagues et à des moments précis? Toutes les personnes évitent-elles certaines zones du marché? Y a-t-il des moments où moins de personnes sont sur place et cette situation change-t-elle selon la journée? Ces types de questions vous aideront à réaliser la deuxième phase du processus.
Dans la phase finale, vous devez évaluer ce que vous avez appris durant les deux premières phases et en tirer des suppositions éclairées quant à l’avenir, afin d’y donner suite. Cette phase consiste essentiellement en une analyse des habitudes de comportement. Étudiez les tendances des personnes et les conditions dans lesquelles surviennent des écarts. Utilisez l’information que vous avez recueillie pour planifier et exécuter vos interventions, selon l’ensemble de ce que vous aurez appris.
Revenons à notre exemple du marché. Après avoir terminé votre analyse, vous déterminez que chaque jour, un peu avant 14 heures, certaines personnes s’éloignent du stand d’un marchand en particulier. Au même moment, un camion arrive, transportant des boîtes qui n’apparaissent pas comme les produits que vend le marchand. En outre, vous remarquez que les personnes déchargeant les paquets du camion semblent nerveuses. Apparemment, elles ont répété cette activité quotidienne depuis les deux dernières semaines.
Vous et votre équipe pouvez alors réaliser la troisième phase du processus, puisqu’il est raisonnable de supposer que ces personnes sont liées à l’activité de contrebande. Vous pouvez dès lors planifier une future intervention pour enquêter plus à fond le déchargement du camion.
Le partage des connaissances sur une situation donnée
Il importe de partager l’information dont vous disposez lorsqu’il s’agit d’établir la CS. Voici deux raisons pour lesquelles ce partage représente un point crucial qu’il convient de mentionner. Premièrement, quand il s’agit d’établir et de maintenir la CS de l’unité, il est plus avantageux qu’un plus grand nombre de personnes y participent. Deuxièmement, peu d’interventions par des forces militaires ou des premiers intervenants ont lieu sans collaboration interorganisationnelle. La CS doit ainsi constituer un langage commun à transmettre à toutes les parties pertinentes.
Une fois la CS bien établie, assurez-vous de transférer à toutes les parties concernées le portrait que vous aurez dressé de la situation en question. Afin de réaliser cette tâche, il faudra souvent recourir à des dispositifs spéciaux de communication, qui facilitent bien plus la gestion du partage de l’information. Ce fait est d’autant plus vrai en collaborant avec des unités qui utilisent de l’équipement de communication entièrement différent. Comme exemple, on peut citer une unité militaire utilisant des radios cryptées et à saut de fréquence pour communiquer avec des agences du maintien de l’ordre public ne disposant que de radios VHF ou UHF commerciales.
Le meilleur outil pour améliorer sa connaissance d’une situation
L’habileté à établir votre connaissance d’une situation donnée s’acquiert par la pratique. D’ailleurs, à peu près tout ce que vous faites au cours d’une journée donnée peut offrir une occasion de vous exercer à acquérir cette habileté. Le travail au bureau, la visite à l’épicerie pour faire les courses, un parcours en voiture en ville et même un moment de détente à domicile sont toutes des occasions pour renforcer votre habileté à établir votre connaissance d’une situation.
Tout au long de votre journée, observez votre environnement, analysez ce que font les personnes dans ce milieu et faites des prédictions quant à ce qui se produira ensuite. Vous serez surpris de la rapidité avec laquelle s’améliorera votre habileté à prendre conscience d’une situation donnée.
Différents moyens d’améliorer vos habiletés à la CS s’offrent à vous; cependant, selon mon expérience, aucun outil n’a plus de valeur que la boucle OODA. Si ce concept vous est familier, la boucle OODA est un cycle conçu pour la prise de décisions. La superposition de cet outil aux trois phases de l’établissement de la CS améliorera rapidement l’efficacité de vos processus.
La boucle OODA a été conçue par le colonel John Boyd des forces aériennes étatsuniennes. L’objet premier de la boucle était la prise de décisions au combat; mais de nos jours, elle s’applique à des domaines bien loin du champ de bataille. L’acronyme « OODA » représente la série d’actions suivantes : « observer, s’orienter, décider et agir ». Reprenons l’exemple précédent du marché pour illustrer l’outil.
Dans la phase d’observation du cycle, vous recueillez toute l’information sur le marché en plein air. On désigne par « observation » la collecte de données à partir de tous les cinq sens. Dans cette partie de la boucle, vous observez également le comportement des personnes dans l’environnement. En brossant le tableau de votre CS, rappelez-vous de constamment observer.
Au marché, vous avez remarqué l’arrivée d’un camion chaque jour et le déchargement douteux de boîtes. C’est à ce moment que vous « vous orientez » vers une nouvelle posture. Vous portez toute votre attention au camion qui arrive chaque jour, car il semble être lié aux contrebandiers que vous recherchez. Vous avez pris la décision de vous concentrer davantage sur ce seul aspect de l’environnement du marché.
Puis, vous « décidez » de planifier et de faire mener une intervention par votre équipe d’agents du maintien de l’ordre public, afin d’enquêter le camion à son arrivée le lendemain après-midi. Au moment venu, vous « agissez » en exécutant l’opération. Le cycle se répète ensuite selon le déroulement des événements lors la fouille du camion.
Durant vos démarches visant à établir votre connaissance d’une situation donnée, pensez à la boucle OODA. Elle vous aidera à mieux organiser votre tâche et à la rendre plus efficace.
Que vous vous retrouviez dans une zone de combat, que vous interveniez lors d’un incendie ou que vous vaquiez tout simplement à vos tâches quotidiennes, vous pouvez tirer parti de la CS. Grâce à la connaissance du milieu environnant et des interactions des personnes présentes avec ce dernier, vous et votre équipe pourrez réagir adéquatement dans presque toute situation. Prenez le temps de vous exercer et d’améliorer votre habileté à bien connaître une situation donnée. Sans aucun doute, elle rendra votre travail plus aisé et pourra même vous sauver la vie.
